Ce que révèlent les emails de Clinton sur l'élection de Martelly en 2010

September 13, 2016

Jake Johnston
Le Nouvelliste, 12 septembre, 2016

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A moins d’un mois de la présidentielle en Haïti, la rédaction publie la traduction des dernières révélations concernant des courriels échangés par le clan Clinton, mises en ligne le 7 septembre dernier par le « Center for Economic and Policy Research » (CEPR). Les révélations de ce think tank américain viennent conforter la position de ceux qui croient que l’avènement de Michel Martelly à la présidence est le fruit de l’intervention américaine.

« La situation ne permet pas à Washington de rester sans rien faire. Ils l’ont élu et ils doivent [sic] faire pression sur lui. Il doit rester sous contrôle », a écrit Laura Graham, alors chef des opérations à la Fondation Clinton, à Bill Clinton au début de l’année 2012. Graham faisait référence au comportement on ne peut plus fantasque, et potentiellement dangereux, du président Michel Martelly.

Quand elle dit qu’«Ils l’ont élu », elle fait référence au gouvernement américain, qui est intervenu à travers l’OEA pour modifier les résultats des élections du premier tour en Haïti, propulsant Martelly au second tour. L’e-mail, l’un des nombreux envoyés par Graham au chef adjoint du personnel de Bill Clinton le 26 février 2012, a finalement été envoyé à la secrétaire d’Etat Hillary Clinton et à son principal conseiller, Cheryl Mills. La note est sans doute la preuve la plus tangible à ce jour que les principaux responsables, même au sein du camp Clinton, considèrent l’intervention américaine dans les élections de 2010 en Haïti comme étant décisive.

Les élections de 2010 ont été un gâchis. Le président René Préval, à l’époque, était accusé de fraude en faveur de son candidat Jude Célestin. La majorité des candidats a tenu une conférence de presse l’après-midi du jour du scrutin dénonçant le processus et appelant à de nouvelles élections. Mais Washington et ses alliés, qui avaient financé les élections, ont foncé, déclarant à la presse que tout allait bien. Mirlande Manigat, professeur de droit constitutionnel et ancienne première dame, et Célestin sont arrivés respectivement en première et en deuxième position, selon les résultats préliminaires, ce qui les envoyait au second tour. Martelly était troisième, quelques milliers de voix derrière.

Les protestations ont embrasé la capitale et d’autres grandes villes du pays, menaçant la stabilité politique que les donateurs ont si longtemps désiré, mais qu’ils n’ont pas parvenu à nourrir. Avec des milliards de dollars d’aide étrangère sur la table et Bill Clinton supervisant un effort international qui vise à «reconstruire mieux», l’enjeu était de taille : à la fois l’argent et la crédibilité.

Avec les partisans de Martelly dans les rues, qui étaient parfois violents, et l’envolée des protestations, les Etats-Unis ont fait monter la pression en mettant en doute publiquement les résultats, quelques heures après qu’ils ont été publiés. Dans les 24 heures qui ont suivi, des hauts fonctionnaires du Département d’Etat américain avaient déjà entamé des discussions avec des groupes du secteur privé haïtien prévoyant de forcer Célestin à se retirer de la course. « Le secteur [p]rivé a dit à RP [René Préval] que Célestin devait se retirer … C’est énorme », avait écrit l’ambassadeur américain en Haïti, Kenneth Merten, le lendemain. Merten a écrit qu’il avait personnellement contacté le « camp » de Martelly et lui a dit qu’il devait «s’exprimer à la radio pour dire aux gens de ne pas piller. Démonstration pacifique OK, pillage non. »

Le gouvernement haïtien a finalement demandé qu’une mission de l’Organisation des États américains (OEA) vienne en Haïti pour analyser les résultats. La mission, malgré qu’elle n’ait pas effectué un recomptage ou un test statistique, a recommandé de remplacer Célestin au second tour par Martelly.

Sous pression, le gouvernement haïtien a fini par accepter les recommandations de l’OEA. Les autorités avaient leurs visas américains révoqués et l’ambassadeur américain à l’ONU, Susan Rice, est même allé jusqu’à menacer de couper l’aide. Le pays se remettait tout juste du tremblement de terre dévastateur survenu en 2010.

À la fin de janvier 2011, deux mois après les élections, mais avant que toute décision ait été prise, Laura Graham a écrit à Cheryl Mills, bras droit d’Hillary Clinton, l’avertissant que son patron, Bill Clinton [WJC], serait très contrarié si certains visas ont été retirés:

« Il y a des rumeurs à propos d’une deuxième liste de visas et JMB [Premier ministre et co-président de la CIRH que Clinton a dirigé, Jean Max Bellerive] est sur cette liste. WJC sera malheureux si tel est le cas. Je ne pense pas qu’il faille retirer son visa. Retirer Elizabeth [la femme de Préval] et les personnes proches de Préval. Je suis aussi restée dans sa maison, le temps d’une pause en général, et ce week-end en particulier pour WJC à ce sujet. »

En réponse, Mills a interrogé le « message que cela envoie » pour Graham de rester dans la maison de Bellerive, mais Graham a répondu, indiquant une certaine coordination entre la Fondation Clinton et le Département d’Etat pour influencer la politique haïtienne.

Mais rester dans la maison de Bellerive, à un jour d’une décision sur les élections, enverrait un signal inapproprié, a souligné Mills. «Pensez à toutes les rumeurs que vous avez entendues.», a demandé Mills, « que nous voulons faire pression sur Célestin quand c’est la position du Brésil et des Nations Unies », a-t-elle ajouté à titre d’exemple. Il n’y a pas de doute que le Brésil et des fonctionnaires de l’ONU ont participé à la décision et aux efforts visant à exclure Célestin. Edmond Mulet, le chef de la mission militaire de l’ONU en Haïti, a même suggéré en privé de sortir Préval du pays le jour du scrutin. Mais ce sont les États-Unis qui avaient financé la mission de l’OEA et qui ont fait plus de pression sur le gouvernement haïtien, et un autre e-mail de Graham Mills a confirmé cela quelques jours plus tard.

« Il me semble que la [communauté internationale] a besoin d’une stratégie complémentaire de message de sensibilisation pour soutenir cette solution », a écrit Graham, notant que le gouvernement américain était vu comme un «méchant».

Une semaine plus tôt, un e-mail séparé révèle que le gouvernement haïtien avait proposé d’annuler les élections, comme beaucoup le réclamaient, et en cours de route, le plan a été rejeté par l’UE et les États-Unis. Les acteurs internationaux ont plutôt opté pour le retrait arbitraire de Célestin et de continuer avec les « MM » [Martelly et Manigat], deux candidats de droite qui soutiendraient le slogan «Haïti est ouverte aux affaires» qui a émergé après le séisme.

L’e-mail de Graham a été envoyé quelques jours avant qu’Hillary Clinton voyage en Haïti, au milieu de la crise en Egypte, pour forcer la main du gouvernement. Mills a transmis le message de Graham à Hillary Clinton, avec une note, « Nous discuterons de cela dans l’avion » à laquelle Hillary a répondu simplement: « Bill m’a parlé de cela et est très inquiet de ce que je fais et de ce que je dis demain. »

« Comme nous tous », a répondu Mills.

Le lendemain, Hillary Clinton a voyagé en Haïti et a rencontré Préval. «Nous avons essayé de résister et c’est ce que nous avons fait, jusqu’à la visite d’Hillary Clinton. Ce fut quand Préval a compris qu’il n’avait pas moyen de s’en sortir qu’il a accepté. Martelly a remporté le second tour, où un peu plus de 20% des électeurs ont voté.

Des e-mails ont révélé que Graham avait validé le nom du Premier ministre potentiel dès juin 2011 et avait suggéré Garry Conille, qui avait déjà servi en tant que chef du personnel de Bill Clinton lorsque ce dernier était envoyé spécial de l’ONU en Haïti. Des e-mails montrent que le personnel du département d’Etat a contribué à influencer les parlementaires dans le dossier Conille, qui devait être le partenaire que la communauté internationale estimait nécessaire au gouvernement haïtien pour aider à superviser la reconstruction massive en cours. Mais cela n’a pas fonctionné comme prévu.

Après seulement cinq mois de travail, Conille a démissionné le 24 février 2012. Deux jours plus tard, Laura Graham écrivait au chef adjoint du personnel de Bill Clinton, Jon Davidson. Dans l’e-mail, où elle prend position pour Conille, Graham a exprimé une frustration extrême envers Martelly et l’a clairement pointé du doigt pour la démission de Conille, qui avait commencé à enquêter sur un certain nombre de contrats de reconstruction impliquant des entreprises dominicaines. Graham a également averti que les Etats-Unis doivent agir pour freiner Martelly, ou risquer les conséquences, exhortant Bill Clinton de «convaincre» le gouvernement des États-Unis:

« GC [Conille] estime que sa démission offre à la [Communauté internationale] l’occasion de s’unir (médias, entreprises, société civile, Parlement) pour faire pression sur MM [Martelly]. Il ne peut plus utiliser GC comme son obstacle. Il doit agir et montrer qu’il est pour la démocratie ou il doit y avoir des conséquences. »

Graham, après avoir été en communication étroite avec Mills et d’autres hauts fonctionnaires du département d’Etat, ainsi que Bill Clinton, qui, comme les e-mails l’indiquent clairement, a été bien informé, a certainement été en mesure de savoir jusqu’où l’intervention américaine avait influencé les élections de 2010.

Un autre courriel de Graham, le soir de la démission de Conille, mentionne comment Martelly menaçait la vie du Premier ministre démissionnaire et, encore une fois, elle remet en question la position de Merten concernant Martelly. Selon elle, Merten s’alignait sur la position que « Martelly n’est pas un si mauvais gars et qu’il est mieux que les précédents présidents».

Malgré les préoccupations de Graham, les États-Unis ont continué à soutenir l’administration Martelly. Son mandat a pris fin en février 2016. Au cours de ses quatre premières années au pouvoir, Martelly, qui n’a organisé aucune élection, a commencé à gouverner par décret à partir de janvier 2015. L’élection présidentielle de 2015 a été si entachée de fraudes et d’irrégularités qu’elle a été entièrement annulée (contrairement à l’élection controversée de 2010), laissant Haïti sans un président démocratiquement élu. Encore une fois, les États-Unis ont validé l’élection entachée d’irrégularité et ont encouragé un deuxième tour, cette fois-ci entre le dauphin de Martelly et Jude Célestin. Mais cette fois, les États-Unis n’ont pas obtenu gain de cause. De nouvelles élections sont prévues pour octobre.

Traduction Patrick Saint-Pré.

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