Face au soulèvement, le président haïtien Jovenel Moïse peut-il tenir ses promesses?

July 31, 2018

Jake Johnston
Le Nouvelliste, 30 juillet, 2018

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L’annonce a été faite un vendredi après-midi, pendant la deuxième mi-temps du quart de finale de la Coupe du Monde opposant la Belgique au Brésil, l’équipe nationale soutenue par la plupart des fans de football haïtiens. Quelques minutes plus tard, le Brésil perdait le match. Peu après, des milliers d’Haïtiens descendaient dans la rue, mais pas à cause du résultat décevant du match.

Le gouvernement a déclaré qu’il éliminerait les subventions aux combustibles fossiles, faisant grimper le prix du gaz à 4,50 dollars américains (USD) le gallon, soit une hausse soudaine de 38%. Le kérosène, très utilisé par les citoyens les plus pauvres du pays, augmenterait de 51% pour atteindre le prix de 4 USD par gallon. Si le gouvernement comptait sur le fait que la majorité des Haïtiens seraient distraits par le football, il s’était leurré.

Le gouvernement avait convenu de mettre un terme aux subventions des mois plus tôt dans le cadre d’un accord avec le Fonds Monétaire International (FMI). « Les gens attendaient cette décision », explique une source des autorités policières, « et nous étions prêts à réagir partout ».

Si les subventions aux combustibles fossiles bénéficient principalement aux riches, toute augmentation du coût de la vie peut s’avérer catastrophique dans un pays où 60% de la population vivote avec moins de 2,40 USD par jour. Les manifestants ont construit des barrages routiers et brûlé des pneus dans la capitale, Port-au Prince, et les manifestations se sont rapidement étendues à l’ensemble du pays. Samedi matin la situation avait empiré. Une insurrection avait démarré.

Les manifestants ont ciblé des hôtels servant la clientèle internationale et un supermarché détenu par l’une des familles les plus riches d’Haïti. Mais les manifestants ont aussi eu un impact sur la classe moyenne, déjà touchée par le malaise économique du pays; environ 80 entreprises (toute taille confondue) ont subi des dommages. Les compagnies aériennes internationales ont annulé des vols à destination d’Haïti, tandis que certaines personnes aisées embarquaient dans des hélicoptères ou des jets privés pour fuir le pays. Vingt personnes ont été tuées, et plus de 50 arrêtées.

Moins de 24 heures après l’annonce initiale, le gouvernement est revenu sur la hausse des prix. Et une semaine plus tard, le 14 juillet, le premier ministre Jack Guy Lafontant s’est vu forcé de démissionner plutôt que de succomber à une motion de défiance du Parlement. Mais les effets de cette annonce ont continué de se répandre et ont mis à jour les lignes de fracture qui menacent encore la démocratie haïtienne.

Le président Jovenel Moïse, entré en fonction en février 2017, se trouve maintenant seul à la tête du gouvernement, et fait face au test le plus difficile de sa présidence.

Entrepreneur agricole des zones rurales d’Haïti, Moïse avait été mis en avant comme le candidat qui pourrait nourrir une nation affamée. Il est arrivé au pouvoir avec de grandes promesses de sécurité alimentaire, de routes pavées, d’électricité couvrant l’ensemble du pays, et de répression de la corruption. Après les élections, Moïse a comparé sa victoire à celle d’un autre homme d’affaires devenu président : Donald Trump. « Le Président Trump et moi-même sommes des entrepreneurs, et tout ce qu’un entrepreneur veut, ce sont des résultats » avait-il dit alors.

Mais les résultats se sont avérés élusifs. La pénurie alimentaire demeure importante, et de nombreuses années d’inflation à deux chiffres, couplées avec une dépréciation de 50% de la monnaie locale, ont érodé le pouvoir d’achat dans un pays étroitement dépendant des imports. Haïti reste l’une des sociétés les plus inégales au monde, tandis que le gaspillage et l’inaction du gouvernement ont alimenté la perception selon laquelle les politiciens du pays sont davantage intéressés par leur propre intérêt que par ceux de leurs électeurs.

La réponse à l’élimination des subventions s’est avérée être un choc pour Moïse et son administration, coupés de la réalité qui les entourait. Mais l’annonce de la hausse du prix du carburant s’apparentait à jeter une allumette sur du petit bois imbibé de gaz ; son inflammation n’aurait pas dû surprendre.

Trou-du-Nord, au nord-est d’Haïti, est la ville natale de Moïse et un site de plantation de bananes qui lui a donné son surnom, Neg Bannann, ou Homme-Banane en créole haïtien.

Dans une ancienne colonie sujette à des siècles d’ingérence et d’exploitation étrangères, le surnom aurait été trop cliché pour un roman de Graham Greene. Mais il suscitait l’intérêt à travers le pays, et était vendeur pour le néophyte en politique.

En septembre 2015, un jour seulement avant le lancement officiel de la campagne présidentielle, Moïse se tenait dans ses champs et s’exclamait fièrement, « Nos bananes sont maintenant sur le chemin de l’Europe ». C’était la première expédition de son entreprise et, selon son entreprise, la première exportation de bananes d’Haïti depuis 50 ans.

Moïse, choisi par le parti au pouvoir pour prendre les rênes du gouvernement, a officiellement reçu le plus grand nombre de voix lors des élections de 2015, seulement pour voir ces résultats annulés en raison d’irrégularités « généralisées ». Son prédécesseur, Michel Martelly, avait quitté ses fonctions au terme de son mandat et avait été remplacé par un gouvernement intérimaire, largement composé d’opposants politiques. Ensuite, en octobre 2016, l’ouragan Matthew dévastait le sud de la péninsule, retardant encore la tenue de nouvelles élections.

Moïse était le mieux financé des nombreux candidats d’Haïti (54 au total), et, grâce au soutien de son habile entreprise de relations publiques internationales, il était en mesure de mener à bien sa campagne là où d’autres accumulaient des retards. Alors que les stocks de denrées alimentaires –comprenant des bananes et des plantains, beaucoup plus répandues en Haïti – avaient été décimés par l’ouragan, Moïse apparaissait comme le parfait antidote.


Traduit en français pour Le Nouvelliste par Sarah Morsi.

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