Les États-Unis dépensent 33 millions de dollars au nom d' Haïti

June 17, 2016

Jake Johnston
Le Nouvelliste, 13 juin, 2016

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Le Conseil électoral provisoire (CEP) a annoncé que le premier tour de la nouvelle élection présidentielle aura lieu en octobre après qu’une commission a constaté que des fraudes et des irrégularités ont émaillé le précédent scrutin. La perspective du nouveau vote – qui se tiendra en même temps que les législatives où des dizaines de sièges parlementaires sont encore à pourvoir, a soulevé des interrogations sur la façon dont il pourrait être financé. Les précédentes élections – considérées comme étant trop entachées de fraudes et de violence – ont coûté plus de 100 millions de dollars, avec la majeure partie des fonds provenant de donateurs internationaux.

Actuellement, les donateurs rechignent. Le Coordonnateur spécial du Département d’Etat pour Haïti, Kenneth Merten, a déclaré que si les élections sont reprises « à zéro », cela aurait des incidences sur l’aide que fournissent les États-Unis. Cela « pourrait aussi conduire à revoir la question de savoir si les États-Unis seront en mesure de continuer à soutenir financièrement le processus électoral en Haïti », a ajouté Merten. Dans une interview, Merten a expliqué ce qui suit : « Nous ne savons toujours pas quelle position nous allons adopter au sujet de notre soutien financier. Les contribuables américains ont déjà dépensé plus de 33 millions de dollars, et ce qui est beaucoup. Nous pouvons nous demander ce qui a été fait avec l’argent ou quelles garanties que la même chose ne se reproduira pas. » Qu’est-ce qui a été fait avec l’argent des États-Unis? Est-ce que la même chose pourrait se reproduire?

Pour commencer, ce chiffre semble inclure l’argent alloué en 2012 – des années avant le début du processus électoral. Les élections locales et législatives, que l’ancien président Michel Martelly a été constitutionnellement dans l’obligation d’organiser, n’ont pas pu avoir lieu. Une part importante de ce financement anticipé a été probablement absorbée par les revenus du personnel et les frais généraux des organisations ou des bénéficiaires internationaux qui ont maintenu leurs programmes en Haïti, en dépit de l’absence d’élections. Il est également intéressant de souligner que plusieurs millions de dollars de cet argent ne sont jamais parvenus aux autorités électorales, ils ont plutôt été dirigés vers des programmes américains en faveur des élections.

En avril 2013, l’USAID a accordé une subvention au Consortium pour les processus électoraux et politiques basé à Washington. Au total, le Consortium a reçu 7,23 millions de dollars avant même que le processus électoral ne démarre. Un montant supplémentaire de 4,95 millions de dollars a été attribué en juillet 2015, un mois avant les élections législatives. Le Consortium est constitué de deux organisations basées à Washington, la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (IFES) et l’Institut national démocratique (NDI). Dans un rapport soumis au Congrès en janvier, le Département d’État a expliqué en outre qu’une partie de cet argent a été dépensée dans :

1. «la création et la mise en œuvre de vingt-six centres d’informations électorales […] pour fournir des informations au grand public sur le processus électoral »;

2. « la formation de plus de 100 journalistes dans plusieurs départements sur des sujets tels que les normes internationales pour des élections … »;

3. «Le financement par INL a appuyé la sécurité des élections. »

4. « L’USAID a également soutenu la création d’une nouvelle plateforme d’observation électorale nationale qui a aidé à construire une plus grande transparence dans le processus électoral en établissant une coalition populaire des observateurs nationaux de renom et bien formés … »

Une partie du financement a servi également à augmenter la participation des femmes dans le processus électoral. Mais on peut se demander ce que les 12.18 millions de dollars ont vraiment rapporté. Pas une seule femme n’a été élue au Parlement – mais il se dessine maintenant que si au moins une d’entre elles est élue, elle parviendra seulement à voler son siège grâce à la corruption d’un juge électoral. En ce qui concerne la fourniture d’informations au public sur les élections, la participation à la fois aux élections législatives et présidentielles représentait seulement environ un cinquième de la population. L’argent dépensé pour les observateurs locaux ont peut-être connu plus de succès, mais pas pour les intérêts américains. Le groupe d’observateurs locaux, l’Observatoire citoyen pour l’institutionnalisation de la démocratie, dirigée par Rosny Desroches, sont d’accord avec d’autres missions d’observation locales qu’une commission de vérification (à laquelle s’opposent les États-Unis) a été nécessaire pour rétablir la confiance dans les élections. Les États-Unis ont dépensé des millions dans la formation des observateurs locaux seulement pour que ces derniers ignorent plus tard leur analyse. Au lieu de cela, les États-Unis ont toujours considéré le travail d’observation des organisations internationales telles que l’Organisation des États américains (OEA) et l’Union européenne. Les USA ont également fourni 1 million de dollars à l’OEA pour son travail d’observation.

Ce n’est peut-être pas une surprise que le financement n’a pas eu l’effet escompté. Une évaluation en 2012 du NDI menée par l’agence de développement étranger de la Norvège a constaté qu’environ « 4 dollars sur 10 » ont été versés à des frais généraux, au personnel à Washington DC ou au directeur expatrié qui coûte plus d’un quart de million de dollars. Les USA ont contribué à hauteur de 9,7 millions de dollars au fonds du Programme de développement des Nations unies (PNUD) pour les élections. Le PNUD a géré les fonds des donateurs ainsi que les fonds versés par le gouvernement haïtien (plus que tout autre donateur). Les fonds ont été utilisés pour imprimer les bulletins de vote, la formation des travailleurs, et pour d’autres opérations logistiques. Cependant, il est important de noter que 3 millions de dollars de ces fonds ont été distribués en 2012 et en 2014, bien avant qu’aucune élection n’ait lieu.

Un montant supplémentaire de 7,57 millions de dollars a été versé à l’Office des Nations unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS) pour les opérations logistiques durant les élections, principalement la distribution et la collecte des bulletins de vote avant et après l’élection. Après que les élections législatives du mois d’août ont été en proie à des groupes violents qui ont perturbé le vote, l’UNOPS a changé de stratégie pour l’élection d’octobre. Dans certains «points chauds», les bulletins de vote ne suivraient pas les procédures normales de transport vers le centre de tabulation, à la place, l’UNOPS contournerait la chaîne, collectant l’information électorale dans 67 centres de vote et en apportant les matériaux directement à Port-au-Prince. Selon des sources diplomatiques, l’UNOPS a menacé de se retirer entièrement si des fonds supplémentaires pour cette mesure n’étaient pas alloués. Les USA ont attribué 1,8 million de dollars à l’UNOPS le 29 septembre 2015.

Un montant supplémentaire de 1,77 million dollars a été octroyé à l’UNOPS en décembre, mais le second tour de l’élection présidentielle n’a jamais eu lieu. Bien qu’il fût clair pour beaucoup que les élections n’auraient pas lieu suite à la condamnation générale de ce scrutin par les observateurs locaux et les groupes de la société civile, les États-Unis et d’autres membres de la communauté internationale ont insisté pour que le deuxième tour se tienne. En dépit des manifestations qui s’amplifiaient de plus en plus, ils ont décidé d’aller de l’avant et ont distribué des matériels électoraux pour une élection qui n’aura jamais eu lieu. Cela a renforcé le pouvoir de négociation de Martelly sur l’opposition, mais cela signifiait que des millions de dollars ont été dépensés en vain.

Au total, le financement versé à l’UNOPS, au PNUD, à l’OEA, à l’IFES et au NDI s’élève au total à 30.45 millions de dollars. Ce qui représente la grande majorité des 33 millions de dollars de la contribution des États-Unis au processus électoral. Des fonds supplémentaires ont également été attribués par le Département d’État pour la sécurité liée aux élections.

Donc oui, les États-Unis ont dépensé plus de 30 millions de dollars dans les élections en Haïti, mais le tout n’est pas allé directement aux élections ou n’a même pas été dépensé à bon escient pour les soutenir. Il est clair que cela coûterait beaucoup moins aux États-Unis pour soutenir un processus électoral haïtien qui a lieu en octobre prochain. Et peut-être la meilleure raison pour les États-Unis de continuer à financer les élections, si Haïti demande un tel soutien, est que ce furent les États-Unis et d’autres acteurs de la communauté internationale qui ont mis la pression et qui ont mis des millions de dollars dans un processus électoral fatalement défectueux, irrémédiablement entaché de fraudes. Le problème ce n’est pas l’argent des contribuables américains que les Haïtiens ont gaspillé en rejetant les résultats des élections; le problème c’est que les États-Unis ont jeté de l’argent par la fenêtre. Voilà quelque chose qui mérite d’être corrigé.

Traduction Patrick Saint-Pré

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